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Wilfrid Derome, expert en homicides - IMPRIMÉ

Jacques Côté. Wilfrid Derome, expert en homicides. Montréal : Éditions Le Boréal, 2003, 448 pages. ISBN : 2-7646-0260-X

Connaissez-vous le frère Marie-Victorin? Bien sûr! Le neurologue Wilfrid Penfield? Sans doute... L'inventeur Joseph-Armand Bombardier? La question ne se pose pas. Le Dr Wilfrid Derome? Cette fois, vous hésitez, avouez-le! Un physicien? Un chimiste? Un médecin?

Réponse? Un peu tout cela et davantage! Car ce grand Québécois (né en 1877 et mort prématurément en 1931) fut une figure marquante de la médecine légale et des sciences judiciaires. Entre autre héritage, il nous a légué le tout premier laboratoire de recherches médico-légales en Amérique du Nord ainsi que le premier traité canadien de criminalistique. Et surtout, une expertise qui fait encore du Québec un des creusets des sciences judiciaires dans le monde. Un véritable pionnier, en somme.

Un document fascinant ainsi qu'une étonnante collection témoignent de la vie et de l'oeuvre de ce héro méconnu

Le premier est un récit biographique tout récent de l'écrivain Jacques Côté. Conçu comme une série de nouvelles policières qui permettent de suivre chacune des étapes de la carrière de Wilfrid Derome, il s'appuie néanmoins sur une recherche rigoureuse. L'auteur a analysé des piles d'archives - notes de procès, coupures de presse, articles et livres de Derome - pour mettre en lumière les riches contributions du savant à la vie judiciaire de son époque.

Passionnant, ce livre débute par la retentissante affaire Delorme qui a beaucoup alimenté la chronique judiciaire dans les années 1920. Le 7 janvier 1922, le cadavre de Raoul Delorme est découvert dans le quartier Snowdon à Montréal. L'Abbé Adélard Delorme, frère de la victime, est accusé de meurtre. Le Dr Derome, alors directeur du Laboratoire de recherches médico-légales, sera appelé à témoigner comme expert en pathologie et en balistique. Il utilisera des techniques nouvelles apprises lors de sa formation à Paris (qui était au début du siècle la Mecque des sciences judiciaires), faisant de cette cause l'une des premières où l'analyse balistique a été utilisée comme preuve. Mais dans cette société catholique, accuser un prêtre de meurtre - et a fortiori, de fratricide - est inconcevable. Malgré des preuves accablantes, les jurés ne parviendront pas à s'entendre sur un verdict, et Adélard Delorme sera remis en liberté après son troisième procès, en 1924.

Comme nous l'apprend Jacques Côté, Wilfrid Derome s'est battu toute sa vie pour faire reconnaître l'expertise médico-légale devant les tribunaux. À l'heure de l'ADN, de la biométrie et de l'analyse balistique par ordinateur, l'apport de la science à la justice et aux enquêtes policiaires est solidement enraciné. L'idée était pourtant révolutionnaire à l'époque. En témoignent les multiples démarches qu'a dû effectuer Derome auprès du premier ministre Omer Gouin, pour le convaincre de fonder le Laboratoire de recherches médico-légales. Ce dernier vit le jour en 1914 et fut probablement le troisième du genre dans le monde. Edgar Hoover, chef du FBI, le visitera à deux reprises avant de fonder celui du FBI... en 1932, 18 ans après Montréal. Aujourd'hui, il existe 200 institutions du genre en Amérique du Nord.

Autre témoin du travail de ce chercheur engagé, l'étonnante collection d'objets amassés au fil des ans par les chercheurs du Laboratoire de recherches médico-légales. Déposé en 1996 au Musée de la civilisation, ce fonds comporte plus de 900 objets qui racontent l'évolution de la science, de la société et de la justice québécoises pendant la première moitié du 20e siècle. On y trouve pêle-mêle : des instruments de laboratoire - dont plusieurs ont été conçus par le Dr Derome pour les besoins de son équipe; des modèles et pièces d'anatomie; des armes blanches; et toute une panoplie de pièces à conviction liées à des activités illicites «populaires» durant les années folles et la crise des années 1930 : consommation d'opium, avortement, suicide... Sans oublier des cordes de pendu, un porte-bonheur fort prisé à l'époque!

Quelque 200 documents nous rappellent également l'intense activité scientifique du Dr Derome et sa passion pour son métier. Le plus émouvant est un carnet personnel où il rassemblait des photos et annotait ses commentaires sur les causes qu'il cherchait à élucider. Une véritable oeuvre de coeur.

Cette collection nous rappelle également les causes célèbres auxquelles le Dr Derome a été assigné comme témoin expert, tantôt à titre de toxicologue, de graphologue, de photographe judiciaire ou de médecin légiste. Vulgarisateur scientifique avant l'heure, le chercheur a conçu pour les besoins de la cause maints objets de démonstrations. Par exemple, une maquette de balle grand format, avec toutes ses composantes, visait à expliquer à la cour et aux jurés les analyses effectuées dans l'affaire Delorme. D'autre causes célèbres plus récentes y sont également représentées, comme la fameuse explosion d'un avion à Sault-aux-Cochons en 1949 (l'affaire qui a inspiré Le crime d'Ovide PLouffe de Denys Arcand).

Aujourd'hui, le Laboratoire fondé par le Dr Derome a quitté le vieil édifice de la rue Saint Vincent qu'il partageait alors avec la morgue, la Sureté provinciale et la Cour du Coroner. Le nouveau Laboratoire des sciences judiciaires et de médecine légale (LSJML) occupe maintenant l'ancienne prison de Parthenais, rebaptisée en 2001 «Édifice Wilfrid Derome». Le savant en aurait été honoré, mais surtout captivé par les équipements de pointe (chromatographes, spectromètres de masse, amplificateurs d'ADN...) qu'on y trouve, et par l'armée des spécialistes qu'il emploie aujourd'hui. Mais ceux-ci doivent beaucoup à leur «père spirituel». Qu'ils soient spécialistes en fibres, pathologistes, biologistes moléculaires ou odontologistes, chacun d'eux a fait sienne sa maxime, «n'avance rien que tu ne sois capable de prouver».

Plusieurs éléments de la collection du Laboratoire de recherche médico-légales seront prochainement présentés et interprétés dans le cadre d'une exposition sur les sciences judiciaires, réalisée par le Centre des sciences de Montréal et co-produite avec le Musée de la civilisation et le Musée des sciences et de la technologie du Canada. Présentée à compter de l'automne 2004, cette exposition contribuera, espérons-le, à rendre la place que mérite Wilfrid Derome au Panthéon des pionniers de la science québécoise.

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